Auto-édition : halte aux illusions !

13 juillet 2019
Posté dans Billet d'humeur
13 juillet 2019 Enguerrand Artaz

En 2017, j’ai achevé mon premier roman. Et j’ai décidé de l’auto-éditer (auto-publier plus exactement, mais je reviendrai sur cette distinction). Par hâte de montrer mon œuvre à tous, par manque de confiance dans ma capacité à être édité « traditionnellement », par illusion de liberté, par un peu d’arrogance aussi. Bref, avec le recul, pas forcément pour de très bonnes raisons. Mais je ne le regrette pas car cela m’a permis de beaucoup avancer dans ma réflexion, de me remettre en question et aussi de connaître de l’intérieur ce monde de l’auto-édition. Et de m’en forger un avis que je vous livre ici. Non pas que je considère que mon avis a une si grande importance. Mais parce que j’aimerais tordre le cou à certains a priori… et à certaines illusions.

Quid de la qualité ?

Tranchons d’abord tout net un débat qui n’a pas réellement lieu d’être. Oui, il y a de la grande qualité dans l’auto-édition. Oui, il y a de la très mauvaise qualité dans l’édition traditionnelle. Mais oui, il y a proportionnellement plus de médiocre qualité dans l’auto-édition que dans l’édition traditionnelle. Ce n’est nullement un jugement de valeur, c’est un fait, lié à la surproduction et à l’absence de sélection avant d’atteindre le lecteur. Admettre cet état de fait est sain et ne remet nullement en cause que l’auto-édition puisse produire des œuvres de très bonne qualité.

Une des principales raisons qui expliquent ce phénomène, et qui est directement liée au caractère pléthorique de la production, c’est la confusion entre auto-édition et auto-publication. Et justement, c’est ce dont on va parler maintenant.

Auto-édition versus auto-publication

Pour beaucoup sûrement, la distinction n’a pas lieu d’être. Même, le terme d’« auto-publication » ne leur est pas forcément familier. Je dis ça sans condescendance aucune car j’étais de ceux-là lors de mes premiers pas. Pourtant la distinction existe, et elle est majeur. Tout simplement parce que le fait de proposer ses écrits par soi-même à la vente ne suffit pas pour parler d’auto-édition. Si vous vous limitez à ça, sans autre forme de procès, alors vous ne faites que vous auto-publier. Par définition, s’auto-« éditer », cela sous-entend réaliser par ses propres moyens l’ensemble des tâches qui seraient autrement prises en charge par l’éditeur. En résumé, relecture, correction, réécriture partielle, mise en page, rédaction de la quatrième de couverture, illustration(s), distribution et promotion. Mais faire tout cela « par ses propres moyens » ne signifie pas pour autant le faire seul !

Et en particulier pour le triptyque « relecture/correction/réécriture ». Le faire tout seul, ou seulement avec l’aide de quelques amis bien intentionnés, de votre mère ou de votre tonton René, ça ne suffit pas. Avoir recours à des tiers expérimentés, qu’ils soient relecteurs professionnels ou bêta-lecteurs aguerris, est indispensable. C’est ce qui vous insert dans une démarche professionnelle et commence à vous faire passer de la simple auto-publication à l’auto-édition. Je le dis avec d’autant plus de conviction que je ne suis pas passé au départ par cette étape pour mon premier roman et que j’en ai assez rapidement mesuré l’erreur. Pourquoi ne l’ai-je pas fait ? Par manque de connaissance du métier, un peu ; par prétention, davantage ; et finalement, plus encore, par peur de devoir remettre en question tout mon travail.

En clair, pour toutes ces raisons classiques qui font que des auteurs débutants refusent de s’étalonner en se confrontant à l’avis critique d’autrui. Cela peut se comprendre mais c’est une erreur. En passant par cette étape, vous vous rendez service, vous bonifiez votre travail et vous respectez vos futurs lecteurs. Même les écrivains les plus talentueux et les plus célèbres passent par là systématiquement. Donc prenez ça comme une chance ! Tant pis si cela retarde la publication. Tant pis si cela vous amène à retravailler votre texte en profondeur, au contraire ! Car au fond, « éditer » un texte, c’est tout cela. Et c’est comme ça que vous pourrez réellement commencer à vous définir comme un auteur auto-éditer.

Je n’ai pas de chiffres précis, mais ce que j’ai pu constater en près de trois ans à côtoyer ce monde là, c’est que les auto-édités qui sont réalité simplement des auto-publiés représentent une nette majorité. Et malheureusement, cela concourt à ce phénomène de surproduction non qualitative que j’ai évoqué précédemment. Il faudrait un assez long développement pour établir tous les tenants et aboutissants qui amènent tant de personnes à s’auto-publier sans aller réellement jusqu’au bout de la démarche. Mais en résumé, il faut savoir que trois français sur dix ont déjà écrit ou rêvent d’écrire un livre. Par ailleurs, nous sommes dans un monde où ont été martelés les messages selon lesquels chacun a droit à son quart d’heure de gloire et chacun peut tout faire, quand et comme il le veut. Additionnez l’un et l’autre et vous comprendrez aisément la genèse du problème. Mais ce n’est pas l’objet du propos.

L’illusion de la liberté

L’implication nécessaire pour pouvoir réellement se définir comme auto-édité nous amène directement à la principale illusion que j’aimerais dissiper : celle de la liberté. C’est l’un des arguments les plus communément mis en avant par les auteurs pour expliquer leur choix de s’auto-éditer. Mais de quoi parle-t-on concrètement ?

Bien souvent, cette notion de « liberté » de l’auto-édition est mise en parallèle avec l’idée selon laquelle l’auteur serait pieds et poings liés lorsqu’il a affaire à un éditeur traditionnel. Alors oui, un contrat d’édition vous lie, comme n’importe quel contrat. Oui, il n’y a pas que des gens honnêtes et bienveillants dans le monde de l’édition et il existe des contrats foireux qui couillonnent les auteurs (mais cela reste une minorité). Et oui, les conditions de rémunérations des auteurs sont rarement valorisantes (c’est l’un des enjeux majeurs du moment et je ne m’étendrai pas sur le sujet qui demanderait à minima un article à lui tout seul).

Oui, tout cela est vrai. Mais penser que l’auto-édition vous débarrassera de toute chaîne est une erreur absolue. Sur l’aspect rémunération, bien que les rétributions proposées par les plate-formes comme Amazon ou Kobo paraissent alléchantes en relatif, les conditions ne sont en réalité pas plus reluisantes en absolue, sauf peut-être pour quelques cas exceptionnels de best seller. Mais surtout, s’auto-éditer implique un travail personnel absolument gigantesque. Comme je l’ai déjà évoqué plus haut, cela suppose de trouver seul les personnes ou ressources qui permettront d’accomplir les travaux de relecture, d’illustration, d’impression etc. Toutes ces tâches normalement prise en charge par la maison d’édition.

S’auto-éditer, c’est se démerder pour obtenir une place dans des salons, en sachant que la plupart du temps les quelques ventes qui y seront faites ne couvriront même pas les frais engagés. S’auto-éditer, c’est démarcher vous-même les librairies si vous ne voulez pas vous limiter à la diffusion via les plate-formes. S’auto-éditer, c’est assurer par ses propres moyens, et de A à Z, sa promotion et sa diffusion. Bref, s’auto-éditer, c’est un engagement total, de chaque instant. Et beaucoup de contraintes ! Qu’on peut accepter avec conviction, bien entendu, mais qu’il est quand même bien difficile de définir comme la quintessence de la liberté.

L’illusion de la liberté, épisode 2

L’autre facette de cet idéal de liberté revendiqué par beaucoup d’auto-édité concerne ce que j’appellerais la « liberté créatrice ». Là encore, il y a souvent à la base une opposition envers l’édition traditionnelle, vu comme castratrice de l’imagination, forçant les auteurs à écrire des choses qui leur déplaisent et saccageant leurs textes sur l’autel du marketing. A nouveau, oui, des pratiques détestables existent au sein de certaines maisons d’édition, il ne faut pas se le cacher. Mais là aussi, on a affaire à une minorité. Qu’un éditeur pousse un auteur à modifier et à améliorer son texte est parfaitement normal, c’est son rôle ! Et que parfois il puisse y avoir une démarche, en apparence, commerciale derrière cela, c’est évident, mais c’est également normal.

D’une part, parce que le rôle de l’éditeur est de faire en sorte que le bouquin se vende. Et d’ailleurs, c’est ce que l’auteur veut aussi, arrêtons cinq minutes l’hypocrisie par rapport à ça. Tout le monde court, sinon après le succès, du moins après la réussite. D’autre part, parce que l’éditeur a conscience, probablement plus que l’auteur en tout cas, du point de vue « lecteur ». Cette défiance envers l’édition traditionnelle en ce qui concerne la « liberté créatrice » est donc bien souvent exagérée.

En réalité, le problème est un peu plus pernicieux. Pour un certain nombre de personnes, avoir recours à l’auto-édition (ou plutôt à l’auto-publication généralement), c’est juste le moyen idéal pour pouvoir se contrefoutre des règles élémentaires de l’écriture. Puisqu’il n’y a aucun filtre de sélection avant, in fine, le lecteur lui-même, ça permet à ces gens (que je n’appelle pas « auteurs » et c’est volontaire) de proposer n’importe quoi et écrit n’importe comment. Au fond, bien trop souvent, ce n’est pas la liberté créatrice qui est recherchée. C’est la liberté de s’affranchir de toutes les règles, même les plus basiques, et de ne rechercher que son petit plaisir personnel.

Cela est détestable car, en plus d’alimenter une surproduction littéraire de très médiocre qualité, ça renforce le désintérêt du grand public pour la littérature. Et surtout, de manière dramatique, ça réduit à néant le travail acharné des auto-édités qui font le taf sérieusement et de A à Z et qui se retrouvent assimilés à ces publications d’une indigence crasse. Voir des gens comme Eylau No Hon qui, après avoir lu beaucoup d’auto-édités, finissent par dire avoir eu « le sentiment de s’être fait arnaquer », ça devrait faire réfléchir un peu !

Alors par pitié, si vous n’êtes pas prêt à prendre l’écriture au sérieux, arrêtez de vous auto-publier en vous revendiquant comme auto-édités. Car les dégâts que vous provoquez sur ceux qui s’engagent à fond dans la démarche sont tout bonnement monstrueux.

En résumé : l’auto-édition, oui mais

A ce stade, vous l’aurez compris, je ne suis là ni pour faire un plaidoyer en faveur de l’auto-édition ni pour la dénigrer par principe. Au contraire. Même si je suis convaincu que ceux qui s’imaginent que l’auto-édition va totalement disrupter l’édition traditionnelle s’illusionnent grandement, elle n’en reste pas moins un mode d’édition qui a toute sa place dans l’industrie littéraire moderne. Et elle peut révéler des auteurs tout à fait excellents. Seulement, elle souffre aujourd’hui du fait que trop de personnes y ont recours, soit sans avoir conscience des contraintes que cela implique (j’ai fait partie de ceux là), soit, bien pire, par manque d’exigence et de sérieux, avec un impact désastreux en termes d’image.

Contrairement à l’idée trop largement répandue et véhiculée, l’auto-édition n’est pas faite pour tout le monde. A titre personnel, j’en suis aujourd’hui revenu, car je n’ai tout simplement par les capacités, en termes de temps notamment, d’aller jusqu’au bout de toute la démarche de promotion, diffusion etc. qui suit, nécessairement, l’écriture elle-même. L’auto-édition doit être réservée à des auteurs qui, d’une part, font preuve d’autant de sérieux dans l’écriture que ceux qui se destinent à l’édition traditionnelle (cela renvoi à la notion d’exigence que j’ai déjà abordé dans mon article sur la fantasy française) ; et qui, d’autre part, sont conscients des contraintes de l’auto-édition et ont les reins pour les assumer.

Il n’y a que comme ça que l’auto-édition gagnera durablement ses lettres de noblesse. Et que ceux qui s’y impliquent corps et âme auront une chance de voir leur travail justement récompensé.